[L’Entretien des Muses] accueille la « sacqueboutière » Sandie Griot et son ensemble Silène

Cornet à bouquin, Sacqueboute, Piffari, Ciaccona, Passacaglia,… on croirait une liste à la Prévert ! Pour être « dans le vent » le samedi 2 juin à 18h30 à l’occasion des « Fêtes à la cité des Doges » de Bruay-sur-l’Escaut, Sandie Griot, magnanime, nous propose quelques « bons tuyaux » ! Et elle s’y connaît en la matière ! Laissons-la nous guider le temps de cet entretien…

 

Chère Sandie, vous serez le 2 juin à la tête d’une bien belle bande de musiciens prêts à faire « sonner » l’église Saint Adolphe de Bruay-sur-l’Escaut ! Pouvez-vous nous présenter votre « troupe » et leurs instruments…

 

Pour le concert du samedi 2 juin, l’ensemble Silène fera sonner l’église avec une bande de cuivres anciens :

François Cardey et Tiago Simas Freire joueront des cornets à bouquin et des cornets muets. Ces instruments très prisés dans la musique de la Renaissance et Baroque sont des instruments en bois droits ou légèrement courbés, recouverts de cuir ou de parchemin. Bien qu’ils soient en bois, les cornets sont associés à la famille des cuivres car ils ont un système de production du son identique : la vibration des lèvres sur une embouchure qui peut être en corne, en ivoire ou en bois pour les cornets.

 

Les cornets à bouquin sont souvent associés aux sacqueboutes que Romain Davazoglou et moi jouerons. Les sacqueboutes sont des trombones anciens dont le nom fait référence aux mouvements que le musicien fait avec sa coulisse. En ancien français « sacquer » signifie en effet « tirer » et « bouter » veut dire « pousser ».

 

Nous serons accompagnés par Florent Marie qui fera sonner son luth, sa guitare renaissance et son théorbe ainsi que Vincent Richard maître des percussions.

 

 

Rassurez-nous… inutile que nous apportions nos boules quiès !!!? (Clin d’œil à Sandie que la remarque amuse beaucoup !)

 

Je vous rassure, il ne sera pas utile que vous apportiez vos boules quiès !

Mais vous avez raison de vous en inquiéter car les cuivres anciens appartiennent à la famille des hauts instruments, c’est-à-dire des instruments sonores (par antonymie avec les bas instruments, plus doux). A l’origine, les hauts instruments étaient réservés aux musiciens professionnels qui jouaient par bande. Ils avaient une fonction de signal qui pouvait être militaire (annoncer des arrivées, communiquer à distance pendant la bataille...) et / ou (selon les bandes de musiciens) une fonction sociale (ponctuer les heures, les entrées des princes, accompagner les banquets, les cérémonies et la danse...).

 

A partir de la Renaissance, les cornets et les sacqueboutes sont entrés dans les églises pour doubler ou remplacer les voix dans la musique vocale. Il a donc fallu aux musiciens adapter leur volume sonore pour ne pas couvrir la voix !

La forme des instruments et de leur embouchure permettent d’ailleurs aux musiciens d’avoir une riche palette d’expressivité avec des nuances musicales allant de la douceur aux grands « forte » ! Ainsi, les sacqueboutes se distinguent des trombones actuels par un pavillon plus petit (ce qui facilite son intégration dans des petites formations et l’accompagnement de la voix).

Et puis, Florent sera là aussi pour assurer des moments musicaux plus intimistes !

 

 

Sur la photo qui accompagne la présentation de votre concert (cf programme du festival), je ne vois pas de pistons sur vos instruments à vent ! Ne jouerez-vous qu’une seule note de tout le concert ?!!!

 

Ça serait dommage de passer à côté de la virtuosité que peuvent avoir nos instruments !!!

Je pense notamment aux joueurs de cornets à bouquin réputés pour leur virtuosité qui rivalisait avec celle des violonistes ! A Venise, Giovanni Bassano et Girolamo Dalla Casa, célèbres cornettistes responsables tour à tour de l’ensemble instrumental de la basilique Saint-Marc au temps des Gabrieli, nous ont laissé des traités de diminutions* d’une incroyable virtuosité. Les cornets à bouquin sont percés de trous comme les flûtes à bec, ce qui permet aux musiciens de jouer différentes notes selon les doigtés.

 

Le trombone trouve son origine dans la trompette dite « naturelle » de forme droite, c’est-à-dire une trompette sans piston pouvant jouer les notes des harmoniques naturelles de l’instrument (selon le souffle et la position des lèvres du musicien). Avec un éventail de notes limitées, ces trompettes étaient utilisées pour jouer des signaux similaires à ceux que l’on peut encore entendre dans la musique militaire (comme « ouvrez le banc » !).

Progressivement, les progrès métallurgiques ont permis aux facteurs de trompettes de courber des tubes. La longue trompette droite a pu être recourbée (en forme de S ou en forme de boucle) pour être plus facile à manier, ce qui a été un gain de confort exceptionnel, notamment pour les sonneurs à cheval.

 

Mais les trompettistes jouant dans des bandes de hauts instruments à côté des bombardes capables de jouer avec agilité les différentes notes de la gamme ont dû se sentir vite limités par le jeu avec les notes des harmoniques seuls. Il existait de grandes trompettes droites composées de plusieurs tubes télescopiques qui se déployaient pour le jeu, et qui prenait donc moins de place à ranger ou transporter. Ainsi est apparue la possibilité d’ajouter une coulisse télescopique aux trompettes pour pouvoir jouer les harmoniques à partir de différentes hauteurs de notes (selon la longueur de la coulisse), et multiplier les possibilités mélodiques de l’instrument. Le corps de la trompette coulissait vers l’avant et son poids rendait l’usage de l’instrument difficile. Progressivement, nous voyons apparaître dans l’iconographie différentes formes de « proto-trombones » dotés d’un système de double coulisse permettant de diviser par deux la distance entre deux hauteurs de notes et de compléter les notes manquantes à la tessiture. Il ne restait plus qu’à imaginer une forme d’instrument allant derrière le musicien pour faire office de contrepoids et rendre l’usage de l’instrument plus maniable. Ainsi, la forme du trombone s’est stabilisée dès la fin du XVe siècle avec une forme très proche de l’instrument moderne actuel.

 

*ornements musicaux que les musiciens ajoutent dans le répertoire de la musique ancienne de manière généralement improvisée.

 

 

Eh bien, avec une si belle palette d’instruments, je serais curieux de connaître le genre de musique que vous allez nous interpréter…

 

Pour le concert du samedi 2 juin, nous vous proposons un programme festif créé spécialement pour le Festival « Embar(o)quement immédiat ». Nous vous ferons voyager à Venise où les rues de la Renaissance offraient un spectacle permanent. C’est après avoir monté une fanfare Renaissance pour une déambulation vénitienne au festival de Vézelay que nous est venue cette idée de proposer un concert autour de la fête à Venise. Il faut dire que l’âge d’or du cornet à bouquin se situe justement à Venise dans les années 1580 - 1630 et laisse place à un riche répertoire musical. Nous aborderons différents genres musicaux populaires (chansons, danses) et savants (canzone, recercare) pour évoquer les rues de Venise, le carnaval, les mascarades, la commedia dell’arte, les banquets, les gondoles... à la Renaissance et au début de l’ère baroque.

 

 

Je lis sur le programme qu’il est également question de danse…

 

Nous croiserons les doigts bien fort (seulement les sacqueboutistes ! clin d’oeil) pour que la météo soit clémente pour la danse !

Venons-en à la question-incontournable de « l’Entretien des Muses » à laquelle, chère Sandie, tout comme vos prédécesseurs, vous n’échapperez pas!

 

 

Quelle est l’histoire de votre ensemble « Silène » au nom sifflant comme le vent ?

 

L’ensemble Silène est né de la volonté de promouvoir les trombones anciens et leur répertoire.

Nous avons choisi la figure de Silène car c’est un satyre mi- homme mi- bête qui représente la fameuse joie et le « savoir-vivre » des trombonistes tout en évoquant les arts de la musique et de la danse*!

 

Père nourricier de Dionysos pour les Grecs ou encore de Bacchus pour les Romains, Silène est souvent représenté ivre, tenant à peine sur son âne. Différentes représentations le caricaturent avec des traits grossiers : un nez court et plat, une lèvre épaisse, un ventre gros et le regard d’un animal. Les Silènes sont les compagnons de Bacchus, des buveurs très illustres que l’on retrouve chez Rabelais. Silène est aussi le nom d’un papillon et d’une plante donnant de jolies fleurs dont les calices de nombreuses espèces s’apparentent au ventre du satyre et la couleur des tâches des pétales rappelle le vin.

 

L’ensemble est à géométrie variable selon les programmes et le lieu de la prestation.

 

* Fils de Pan, d’Hermès ou bien d’Ouranos, Silène serait l’inventeur de la flûte ainsi que d’une danse qui porte son nom.

 

 

Célèbres « Piffari » au programme, annoncez-vous ! Une ancienne variété de pâtes vénitiennes aujourd’hui disparue !!!? (Désolé Sandie pour cette question à l’humour douteux, je vous l’accorde… et que vous pouvez ignorer !)

 

Les bandes de hauts instruments se sont développées pour servir les élites dominantes en imposant une forte image de puissance et de triomphe. Le nombre de musiciens et leurs qualités révélaient par exemple les moyens financiers et donc la puissance de l’employeur. La pratique était si répandue qu’à la fin du 14e siècle, presque toutes les cours et villes possédaient leur propre bande de hauts instruments.

 

A Venise, les meilleurs joueurs de cornets à bouquin et de sacqueboutes furent embauchés dans l'ensemble qui portait le nom de « Piffari » (comme il y avait le « Concerto Palatino della Signoria » à Bologne ou « His Majestys Sagbutts and Cornetts » en Angleterre). Ce groupe servait de blason sonore au Doge et à la République. Son répertoire s'étendait au-delà des danses et des fanfares avec l'interprétation de musique vocale profane et religieuse et d'un nouveau type de pièces instrumentales spécifiquement écrites pour cornets et sacqueboutes.

 

Les piffari étaient occasionnellement employés par la basilique pour renforcer le chœur en doublant ou en remplaçant les voix le cas échéant. C'est en 1568 que la basilique se dota de musiciens permanents autour desquels les piffari et d'autres supplémentaires pouvaient se greffer pour les occasions importantes.

 

Je vois dans la brochure du festival (« À l’école du baroque », p. 37) que vous allez animer un Atelier-Conférence « Sacqueboute ». Pourrons-nous à cette occasion nous essayer à souffler dans l’instrument et endosser un instant le rôle d’« Assurancetourix », le barde…

 

Lors de cet atelier-conférence, vous aurez l’occasion d’en apprendre un peu plus sur la sacqueboute : son histoire, son mode de fonctionnement. Les plus téméraires pourront même essayer le trombone ! Ne craignez rien, il ne mord pas et contrairement à ce qu’on pourrait croire, presque tout le monde réussit à sortir un son du premier coup ! (après quelques explications bien sûr !) L’atelier est aussi ouvert aux trombonistes qui souhaitent essayer la sacqueboute et mettre un pied dans l’interprétation du répertoire de la musique ancienne !

 

 

Merci Sandie, vous nous avez mis l’eau (ou plutôt le vin !) à la bouche avec cette passionnante présentation! Nous sommes très impatients de découvrir votre « intrigante cohorte d’instruments » et son univers musical au concert de Bruay-sur-l’Escaut mais aussi à l’occasion de votre atelier-conférence au conservatoire de Valenciennes le jeudi 31 mai de 18h à 20h ! Gageons que les « Vents Anciens » de « Silène » annoncés dans la brochure du festival nous apporteront un doux zéphyr musical et chasseront par la même occasion les mauvais nuages porteurs de pluie !

Propos recueillis par Michel Fielbal

Silene 3