[L’entretien des Muses] avec la soprane Élodie Fonnard, le ténor Marc Mauillon entourés par l’ensemble « Les Timbres »

Les gentes Dames, Yoko Kawakubo et Myriam Rignol et le preux Chevalier Julien Wolfs avaient fait halte cet été au Château de l’Hermitage le temps d’un fameux « Tournoi musical » qui avaient vu jouter les plus grandes Nations européennes ! La cour s’est bellement étoffée, et saluera son cher public à l’Église Sainte-Madeleine à Aubry du Hainaut, à quelques pas du Château. Les fanions et étendards ne flotteront pas cette fois… la passion amoureuse, ses plaisirs, ses tourments seront au cœur des préoccupations de nos artistes ! Replongeons dans les méandres des passions de l’âme au 17ème siècle le temps de notre entretien : âmes sensibles, ce concert est pour vous !

 

 

« Exploration(s) », comment s’inscrit votre concert dans la thématique du festival « Embar(o)quement immédiat » cette année?

 

Qu’est-ce qu’une vie ? Est-ce une famille, une maison, une carrière ? Pour nous, c’est une succession d’explorations de nos sentiments, de nos émotions… qui nous modèlent, nous façonnent, nous transforment ; une personne ne sous semble exister que par le biais de ses ressentis : ressentis vis-à-vis de situations, de personnes, d’objets, etc. Et c’est cette exploration des sentiments, des émotions et de ressentis que nous allons mener en musique… mais plus largement c’est donc aussi l’exploration de la vie et de la personne humaine.

 

Votre programme annonce une musique avec des « airs sérieux », si j’ai bien compris, pendant musical d’une poésie qui fleurit dans les « ruelles » des Précieuses… Myriam, il est grand temps de rafraichir notre lointaine culture littéraire et musicale…

 

Au moment où l’opéra triomphe et où l’air de cour mondain décline, Michel Lambert fait imprimer en 1689 un recueil d’airs d’une telle importance qu’il rappelle les éditions des opéras de Lully. Pourtant, Michel Lambert est le témoin d’une mondanité où la musique et le texte tissent des liens étroits sans être contraints à une efficacité requise par la représentation théâtrale. Les textes des airs de cour sont donc en général d’une simplicité qui touche droit au cœur, tout en étant d’une poésie des plus subtiles. Les pensées, les états et les sentiments amoureux restent intemporels dans leur expression aussi bien musicale que poétique. Explorer les tourments et plaisirs de l’amour au travers de cette musique si raffinée et en même temps si expressive, aux doubles ornés d’une virtuosité inimaginable mais qui touchent directement le cœur, voilà le voyage auquel nous vous convions.

 

Le 17ème siècle a, plus que tout autre auparavant, exploré les passions de l’âme, que ce soit de façon philosophique (Les Passions de l’âme de Descartes en 1649), picturale (Discours sur les Passions de l’âme de Lebrun en 1668), ou littéraire. En ce domaine, un courant va tout particulièrement s’attacher à la passion amoureuse, traitée avec grande pudeur mais aussi la plus grande profondeur : celui de la préciosité. Non pas celui des Précieuses Ridicules, sottes voulant se mettre à cette mode et dont se moque Molière, mais bien celui des « véritables précieuses [qui] auraient tort de se piquer lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal » (préface aux Précieuses Ridicules, 1659).

 

À cette poésie qui se développe dans les “ruelles” des précieuses (cet espace entre le lit d’apparat où se tient la dame qui reçoit et le mur de la chambre, “ruelle” où se retrouvent les amis intimes), il fallait un écrin musical laissant les mots s’épanouir pleinement. Ce sera l’air sérieux, une mélodie accompagnée par la basse continue, où la musique est guidée pleinement par la prosodie du texte et en souligne le sens. À cela viennent rapidement s’ajouter quelques ritournelles instrumentales, en prélude ou conclusion du texte chanté.

 

Et quels compositeurs vont plus spécialement s’approprier ce genre musical ?

 

Deux compositeurs vont particulièrement s’illustrer dans ces airs sérieux dont l’imprimeur Ballard publiera de nombreux recueils : Michel Lambert et Sébastien Le Camus. Tous deux, nés aux environs de 1610, connurent des évolutions parallèles, même si le premier a joui d’une renommée plus grande encore.

 

Élodie Fonnard, Marc Mauillon vous rejoignent pour ce programme, est-ce votre première collaboration ? Comment s’est opérée votre rencontre avec ces deux talentueux chanteurs ... dites-nous tout !

 

Pour nous, les 3 « timbres » de base (Yoko, Myriam et Julien), Marc est avant tout un mythe… le mythe d’un musicien généreux qui vous transporte et vous grandit le temps d’un concert, mais aussi dans la suite de votre vie ; notre rencontre avec Marc en vrai date d’un concert qu’il avait donné lorsque nous étions encore tous 3 étudiants au CNSMD de Lyon (avec Pierre HAMON autour de Machaut) : un choc, le renversement par un souffle… Nous avons donc épluché toute sa discographie et celle de sa sœur Angélique. Et un beau jour, Myriam s’est retrouvé à l’accompagner dans un projet des Arts Florissants, et l’étincelle entre les personnes s’est allumée – confirmant sans surprise la générosité de la personne et celle du musicien.

 

Étonnement, c’est presque dans ce même cadre que nous avons rencontré Elodie : rencontre immédiate d’une personne hors normes autant que d’une musicienne. Nos valeurs à tous se rejoignent dans un esprit de partage, de transmission et de joie. Avec les Timbres, nous avons le plaisir d’être rejoints par Elodie et Marc depuis quelques paires d’années, dans des projets intimes comme celui-ci, ou plus grand comme Orfeo de MONTEVERDI.

Et il ne faut pas oublier Odile ! Notre chère Odile… qui a été notre professeur au CNSMD de Lyon avant d’être notre comparse de jeu, pour notre plus grand bonheur à tous. Et notre grand ami Thibaut, musicien aussi talentueux que personne généreuse et à l’écoute.

 

« Michel Lambert », « Sébastien Le Camus » au programme : cette fois il ne s’agit plus de rafraichir une mémoire fragile mais bien de nous présenter vos compositeurs « invités » !!!

 

Nous aimons toujours citer cet éloge écrit par le chroniqueur Robinet à l’occasion du mariage du duc de Chevreuse, le 6 février 1667 et qui présente si poétiquement Michel Lambert :

 

« Et Lambert, dedans ce Régale,

Mêlant un plat de son Métier

Sceut si noblement marier

Sa Voix et son Théorbe ensemble

(Et je croi l'ouir, ce me semble),

Que ses Auditeurs ébaudis

Se creurent dans le Paradis. »

 

Michel Lambert (1610-1696) est tout simplement le chanteur-luthiste le plus réputé de son temps... Il fut formé dans la maîtrise de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII. Etabli comme maître de chant à Paris en 1630, on sait qu’il fréquenta les cercles de plusieurs précieuses. En 1661, il est nommé maître de musique de la Chambre du Roi, alors qu’il dansait depuis une décennie déjà aux côtés du jeune Louis XIV et de Jean-Baptiste Lully dans les ballets de cour dont il écrivit la plupart des récits et dialogues vocaux. Jean-Baptiste Lully épousera d’ailleurs sa fille en 1662. Lambert enseigna également son art aux plus grands, chanteurs comme nobles, et a joui jusqu’à sa mort en 1696 d’une formidable réputation.

 

On connaît moins la vie de Sébastien Le Camus, né également vers 1610. On le retrouve lui aussi au service de Gaston d’Orléans, et en 1660, il est nommé Maître de la Musique de la reine Marie-Thérèse, puis en 1661, violiste et théorbiste de la Musique de la Chambre du roi. Il fut ami de Madame de Sévigné qui, disait-il, chantait bien ses airs, et a fréquenté les mêmes cercles de précieuses que Lambert. Tous deux furent d’ailleurs célébrés par leurs contemporains comme principaux compositeurs d’airs tels ceux de ce programme.

 

Trois musiciens au Château de l’Ermitage de Condé sur l’Escaut cet été pour un tournoi musical mémorable ! Vous nous revenez à sept… satisfaits des nouvelles recrues… !!?

 

ET COMMENT !!! RAVIS oui… notre ensemble est aussi un collectif d’amis… les projets sont l’occasion de partager avec vous quelque chose que l’on partage ensemble : l’amour de l’art, de la musique, de l’émotion… et plus généralement l’amour de l’autre. Chacun des timbres que vous entendrez vous offrira son âme l’espace d’un moment musical privilégié.

 

Le festival d’été au Château sera reconduit l’année prochaine pour le plus grand plaisir de tous les mélomanes de la région… quel souvenir gardez-vous de votre participation à la première édition de ces « Musiques au Château » ?

 

L’éblouissement du lieu… du parquet… la magie de la Rotonde. Vive le festival Musiques au Château, le château de l’Hermitage et ses généreux et passionnés propriétaires…

 

 

Rendez-vous est pris le dimanche 19 mai à l’Église Sainte Madeleine d’Aubry-du-Hainaut à 16h30 pour s’émouvoir, s’enflammer et souffrir à la fois au contact des plaisirs et des affres de la passion amoureuse. Élodie Fonnard, Marc Mauillon et les Timbres nous rappelleront, à travers la poésie des airs sérieux de Michel Lambert et Sébastien Le Camus, que déjà au Grand Siècle « l’amour est enfant de bohême, et n’a jamais connu de lois… »

 

Propos recueillis par Michel Fielbal

Les Timbres