[L’entretien des Muses] avec trois musiciens pour quatre

Au premier regard, on aurait pu se dire que notre attachant duo-programmateur du festival (Marie-Do Trompette et Yannick Lemaire) avait réalisé sa première bévue en nous proposant pour la seconde fois les « Quatre Saisons » de Vivaldi qu’Amandine Beyer et ses « Incogniti » avaient sublimées il y a deux ans au phénix de Valenciennes ! Que nenni, nos deux amis ont chargé un trio fidèle du festival de nous offrir une relecture de l’œuvre emblématique du prêtre roux. 3 instrumentistes pour 4 saisons donc et un Entretien des Muses en stéréophonie : le violoniste Flavio Losco et son ami violoncelliste Étienne Mangot nous emmènent au cœur de leur projet…

 

« Exploration(s) », tel est le thème du 13ème Festival ! Dans quelle mesure votre programme s’inscrit-il dans cette thématique : explorations des timbres, des sonorités, de l’œuvre par d’autres instruments ?...

 

Flavio : Explorer, cela veut dire parcourir en cherchant à découvrir. Si le programme que nous proposons, et en particulier les 4 saisons, peut sembler un territoire plus que familier au grand public, c’est tout de même bien d’une exploration qu’il s’agit ici. En adaptant cette pièce pour la jouer à 3, l’oreille rendue plus attentive par ces changements de timbres, va y découvrir ce qu’elle connait déjà mais en la goûtant d’une autre manière…

 

Etienne : Notre interprétation elle-même est basée sur l’exploration ! Exploration du son, du langage de l’archet et du phrasé ; dans ce programme en particulier, la musique est déjà « à programme », notre relecture voire notre réécriture a pour but de parler à chacun et à la fois de créer des connexions entre différents styles et époques…

 

 

« Ebouriffantes 4 saisons à 3 !!! » Cher Flavio, aurais-tu un problème avec les chiffres… (Clin d’œil !) Ou peut-être s’agit-il d’une réduction de l’œuvre existant déjà au temps de Vivaldi ?

 

Flavio : En réalité, cette transcription n’existait pas en tant que telle et cette proposition est née de notre initiative et de notre envie à tous les deux. Cependant, il n’est pas inimaginable que cela ait pu se faire à l’époque…

 

Etienne : De tous temps la musique s’est transposée, transformée et jouée en petite formation ; ainsi sont nés des opéras de poche, des ouvertures jouées à un clavier, des variations sur tel thème ou tel air… c’est dans cette tradition que s’inscrit notre démarche : d’un côté, on est obligé de laisser de côté l’esprit orchestral de l’œuvre, mais d’un autre nous choisissons « l’essence » de la musique et de ses effets.

 

 

« Retravailler » l’instrumentation d’une œuvre, est-ce une démarche fréquente à l’époque baroque, et qu’en est-il avec les « baroqueux » de notre époque ?

 

Flavio : Oui, tout à fait, on sait que parfois même, dans la musique vocale polyphonique, si une voix manquait elle pouvait être remplacée par un instrument. Et il en est de même avec certains instruments et selon des critères bien précis : par exemple, un violon pouvait tout à fait remplacer un hautbois, une flûte...

 

Etienne : Même dans une œuvre « originale », l’instrumentation est libre dans une certaine mesure ; par exemple pour le continuo (basse accompagnatrice) nous pourrions avoir au choix : différents claviers (clavecin, orgue), différentes basses d’archets (violoncelle, viole de gambe, contrebasse) et même une harpe, un théorbe ou une guitare…

 

Aujourd’hui, il est vrai qu’un continuo « light » paraît trahir un manque de moyens… de notre côté il n’en n’est rien, le choix est assumé et voulu : donner une lecture de chambre à cette œuvre orchestrale.

 

 

« Repenser » une œuvre aussi emblématique, « sacrée » voire « intouchable » dans l’imaginaire du public,… ne craignez-vous pas d’être confrontés une certaine réticence ?

 

Etienne : Ah ! Le fameux côté « historique »… il y a quelquefois plus de différences entre 2 interprétations « baroqueuses » qu’entre notre vision de cette œuvre et l’interprétation qu’en a fait par exemple Gilles Apap il y a de nombreuses années : version avec violon, accordéon, contrebasse et cymbalum, enregistrement salué d’un diapason d’or à l’époque !

 

Flavio : Et puis, il faut arriver à désacraliser ces œuvres monumentales pour s’en rapprocher ; s’approprier la musique, la garder vivante pour la restituer au public en partageant cette proximité. Il ne s’agit pas d’iconoclasme mais au contraire, cette relecture part d’une réelle admiration et amour de ce chef d’œuvre.

 

 

Mais quittons le programme et parlons un peu de vous. Flavio, Étienne, qu’est-ce qui nourrit votre relation musicale au quotidien ? Et… n’oubliez pas votre ami Thomas Dunford !

 

Flavio : Etienne et moi avons partagé tant d’aventures musicales, depuis tant d’années… Et cela se prolonge aussi dans nos activités pédagogiques puisque nous enseignons tous les deux au conservatoire de Nice. Notre complémentarité musicale a été le socle de ce projet. Etienne est un artiste rare et complet, aussi à l'aise dans le rôle de continuiste que de soliste, et sur divers instruments. Il allie la finesse de jeu, une grande sensibilité et la stabilité sur laquelle je peux construire mes propositions au violon et répondre aux siennes, dans un dialogue permanent. Cette interaction ne peut se faire sans une grande complicité…

 

Thomas est quant à lui un jeune artiste brillant, un phénomène musical et il est très sollicité. J'ai eu souvent l'occasion de jouer avec lui en orchestre et Etienne et moi sommes heureux qu'il nous ait rejoints pour ce projet. Ça ne pouvait être que lui !

 

Etienne : Flavio est un sculpteur du son ! Que vous soyez près ou loin vous verrez cette sculpture en 3 dimensions ; violoniste extraordinaire, ses mains conjuguent virtuosité et musicalité pour vous faire oublier le violon ! Toujours à la recherche de la ligne mélodique et rythmique, c’est un honneur de partager avec lui.

 

Thomas est un musicien incroyable : un vrai caméléon stylistique ; il fait sonner son archiluth dans tous ses registres, et nous fait naviguer sans cesse entre interprétation et improvisation.

 

 

Et qu’en est-il des autres pièces annoncées au programme ? En quoi peut-on les qualifier de « pyrotechniques » ?!!

 

Flavio : Je préfère ne pas en parler afin de ne rien dévoiler ! Je peux juste dire qu'il y aura beaucoup de surprises...

 

Etienne : Les pièces ajoutées créent tour à tour une mise en valeur de l’original, un miroir de style ou bien un choc thématique… il y aura aussi pas mal de clins d’œil, pour créer du théâtre dans la pièce de théâtre.

 

 

Je respecte le secret ! Dites-moi au moins ce qui vous relie tous les deux à Vivaldi, une histoire particulière peut-être ?

 

Etienne : Une histoire particulière oui : nous jouons beaucoup de musique ensemble, Flavio et moi, en particulier la musique de Vivaldi, musique de chambre, concertos pour nos deux instruments (violon et violoncelle) et nous ne comptons plus « nos quatre saisons ». C’est toujours un grand plaisir de jouer cette œuvre avec Flavio, en savourant notre complicité et en y découvrant toujours plus de détails ; à la suite d’un projet avec Thomas Dunford, dans lequel nous avons « arrangé » l’été, nous est aussitôt venue l’envie d’aborder l’intégrale des saisons avec lui.

 

Flavio : C’est vrai que je ne saurais plus dire combien de fois j’ai joué Vivaldi et en particulier les quatre Saisons… jusqu’en Inde ! Et bien sûr, très souvent en compagnie d’Etienne.

 

 

Au fait, heureux de revenir au Festival « Embar(o)quement immédiat » ? De bons souvenirs ?...

 

Flavio : Bien sûr ! Nous sommes venus il y a 2 ans dans la même formation et sommes très heureux de proposer ces quatre saisons dans leur intégralité avec plein de surprises... Nous gardons un souvenir inoubliable de l'accueil que nous avait réservé le public ainsi que l'équipe d' «Embar(o)quement Immédiat ». Cela nous met la pression : il va falloir être à la hauteur (clin d'œil).

 

Etienne : Évidemment très heureux ! Que de bons souvenirs… chaque passage à « Embar(o)quement Immédiat » ne nous laisse pas indemnes : que de partage musical et amical, c’est un plaisir de confiance et de fidélité. Merci à toute l’équipe du festival !

 

Cher Flavio, oubliez la pression ! Vous savez que notre « empathie » musicale vous est d’ores et déjà acquise à tous les trois ! Cher Étienne, le partage et l’amitié demeurent les ferments du Festival et nous espérons bien que votre rencontre avec les gens du Nord ne vous laisseront pas indemnes cette fois encore… Souhaitons enfin que notre printemps valenciennois soit aussi lumineux que celui de votre compatriote du sud Vivaldi pour vous accueillir !

Propos recueillis par Michel Fielbal

Performance Vivaldi